Skip to main content
Submitted by admin on Mon, 10/21/2024 - 00:06

Objet : Soutien financier à l’armée rwandaise via la Facilité Européenne pour la Paix

Excellences,

Nous, membres de Jambo ASBL, organisation de droit belge engagée dans la défense des droits de l'homme et la promotion de la justice dans la région des Grands-Lacs d’Afrique, vous adressons cette lettre avec une profonde inquiétude face aux récentes révélations faites dans la presse. Selon un article publié le 14 octobre dernier par Africa Intelligence, le Groupe Afrique (COAFR) du Conseil de l'Union européenne aurait donné son feu vert pour octroyer à l'armée rwandaise une enveloppe de 20 millions d'euros via la Facilité européenne pour la paix. Si cette information est avérée, elle serait tout simplement choquante.

Est-il nécessaire de rappeler aux États membres de l'Union européenne que l'armée rwandaise est actuellement impliquée dans la violation flagrante de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de son voisin, la République démocratique du Congo (RDC) ? Dans leur dernier rapport, des chercheurs mandatés par le Conseil de sécurité des Nations Unies estiment que des officiers rwandais ont "de facto pris le contrôle et la direction des opérations du M23", un groupe rebelle actif dans l'est de la RDC. Selon ces experts, les troupes rwandaises déployées aux côtés du M23, estimées à 4000 soldats, surpassent en nombre les miliciens du M23. Le même rapport accuse formellement les autorités rwandaises d’avoir "violé l'intégrité et la souveraineté de la RDC" et les tient "responsables des actions du M23" par leur soutien actif à cette rébellion qui cherche à conquérir des territoires congolais.

Il est tout aussi important de souligner que l'Union européenne elle-même, tout comme les États-Unis, a sanctionné plusieurs officiers de l’armée rwandaise pour leur implication directe dans le soutien au M23, les pillages en RDC, et les exactions commises par cette rébellion et les forces rwandaises. L’armée rwandaise est également sous le coup de sanctions américaines pour son utilisation d’enfants soldats.

En apportant un soutien assumé à une armée que l’Union européenne et ses États membres ont eux-mêmes condamnée et sanctionnée pour des violations flagrantes de la paix, via la Facilité européenne pour la paix, l’UE risquerait de prendre une décision perçue comme cynique et contre-productive, tant pour son image auprès des peuples africains que pour les États souffrant des conséquences des exactions de cette armée. Une telle démarche ne manquerait pas de créer un précédent préoccupant en matière de politique étrangère, illustrant un double standard qui, inévitablement, pourrait se retourner contre l’Union à l’avenir.

Par ailleurs, il est particulièrement troublant que des personnalités militaires rwandaises ayant joué un rôle majeur dans ces violations soient toujours aux commandes des forces rwandaises. Le général major Alexis Kagame, récemment désigné chef d’état-major de la force de réserve après avoir été coordonnateur des forces rwandaises au Mozambique, est explicitement mentionné dans le rapport de l'ONU comme ayant participé aux opérations de soutien au M23 et de déstabilisation de la RDC. Son successeur au Mozambique, le général Emmanuel Ruvusha, avait lui aussi été cité par Human Rights Watch pour son rôle actif dans les opérations du M23 entre 2012 et 2013. Où est la cohérence dans le soutien à une armée dont les plus hauts responsables sont impliqués dans de telles atrocités ?

Le contexte dans lequel cette décision aurait été prise est d’autant plus alarmant que, la semaine dernière, une enquête menée par The New Humanitarian et Le Monde a révélé des abus sexuels massifs commis par des soldats de l'armée rwandaise contre des femmes en République centrafricaine. Ces crimes, qui auraient été perpétrés dans le cadre d'une mission très similaire à celle menée au Mozambique, témoignent d’une impunité flagrante et d’une incapacité des autorités rwandaises à prendre des mesures contre ces exactions. Il est profondément choquant que cette même armée, coupable de telles dérives, puisse être considérée comme un partenaire digne de soutien financier.

De plus, les révélations de l'enquête "Rwanda Classified", menée par des médias européens majeurs, ont déjà suscité un émoi considérable en Europe concernant les agissements du régime rwandais. Comment l'Union européenne peut-elle justifier une telle aide à un régime dont les exactions sont régulièrement dénoncées par les organisations internationales et les médias ?

Le média Africa Intelligence rapporte que l’Union européenne aurait finalement décidé d’accorder cette aide à condition que le Rwanda s’engage à ne pas utiliser ces fonds pour financer son effort de guerre dans l'est de la RDC. Cet argument est tout simplement irrecevable. En effet, si l'UE finance les opérations rwandaises au Mozambique, le Rwanda pourra simplement rediriger ses ressources internes pour soutenir son effort militaire en RDC. Ainsi, l’aide européenne, bien qu’allouée officiellement au Mozambique, risque indirectement de servir à financer une guerre brutale en RDC.

Il est parfaitement légitime que l'Union européenne cherche à protéger ses intérêts énergétiques en Afrique, notamment dans la province de Cabo Delgado au Mozambique. Cependant, le faire en soutenant une armée coupable de violations de la souveraineté de ses voisins, de massacres, de soutien à des groupes terroristes, de viols et d’abus sexuels, de trafics et de pillages est moralement et stratégiquement inacceptable. L’argent des contribuables européens ne doit pas servir à renforcer l’instabilité en Afrique.

Nous vous appelons donc, Excellences, à reconsidérer cette décision et à faire preuve de fermeté envers un régime dont les actions menacent non seulement la paix régionale, mais aussi les valeurs fondamentales de justice, de droits humains et de souveraineté que l’Union européenne défend.

Veuillez recevoir, Excellences, l’assurance de notre plus haute considération.

Norman Ishimwe SINAMENYE

Jambo ASBL

Bruxelles, le 21 octobre 2024

Faire un don